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Dominer son chien : le conseil dangereux des dresseurs coercitifs

Publié le 08 Octobre 2019
Dominer son chien : le conseil dangereux des dresseurs coercitifs

S’il y a bien un mythe qui persiste dans l’éducation canine, c’est celui de la hiérarchie entre un maître et son chien. Et mauvaise nouvelle: c’est probablement l’idée reçue la plus nocive qui existe pour la relation avec votre animal. L’obsession avec la dominance: une maladie qui contamine trop de clubs canins Certains clubs canins font un travail formidable – vous y développerez une relation de confiance et de coopération avec votre chien. D’autres font tout l’inverse. Peut-être en avez-vous déjà fait l’expérience ? Moi, oui. Je vous partage ici ma première (et ma seule) malheureuse expérience dans un club canin "traditionnel". Deux choses m’avaient outré. La première : la violence exercée par ces soit-disant «professionnels» (à savoir : les coups de collier étrangleur). La deuxième : leur obsession avec la «dominance». À écouter certains dresseurs de chiens, c’est la cause de tous les troubles comportementaux de votre compagnon. Dans ce cours collectif, nous sommes dix — cinq humains et cinq chiens. Le premier, un vieux labrador chocolat, tire sur sa laisse. Réponse de l’éducateur: «C’est lui qui vous prend pour son chien !». Le second : un chiot Cocker. Il est anxieux quand il est seul, et fait le loup. Solution: «Il faut rétablir les rapports hiérarchiques !». La troisième : une Malinoise craintive n’ose pas revenir à son maître quand il l’appelle. Ce dernier l’avait auparavant violentée, brisant leur lien de confiance. Conseil de notre éducateur : «Montrez-lui qui est le patron !». Ça commence à devenir redondant. Le quatrième : un Jack Russel un peu nerveux ayant tendance à agresser les autres chiens. Explications de notre éducateur : «C’est qu’il est dominant». Évidemment... Et enfin la cinquième, ma chienne, en pleine adolescence à l’époque, prenait un malin plaisir à grimper sur les autres chiens pour les chevaucher. Réponse: «C’est pour devenir chef de meute». Pour chaque problème comportemental, le dresseur n’a qu’une seule explication: «Votre chien est dominant». Sans jamais chercher à comprendre les causes de ces comportements. Franchement, pas besoin d’un professionnel pour répéter inlassablement "le problème, c’est la dominance" – n’importe qui peut le faire. En diagnostiquant un problème de hiérarchie à tous les chiens du cours collectif – peu importe leur âge, leur vécu, ou leurs habitudes, le dresseur avait perdu toute sa crédibilité. Soumettre son chien en le plaquant au sol, ce n’est pas de l’éducation: c’est de la maltraitance À écouter certains dresseurs de chiens, absolument tous les problèmes seraient résolus en remettant votre ami à sa «place de chien». En d’autres termes : complètement soumis. Et comment soumet-on son chien ? Un triste exemple : on l’attrape par la peau du cou, on le retourne sur le dos, et on le plaque au sol en appuyant sur sa gorge. Violent, grotesque, et parfois même traumatisant. Comment les éducateurs traditionnels justifient-ils cette barbarie ? Selon eux, ils reproduisent le comportement qu’aurait un mâle alpha avec les autres membres de sa meute. Exemple : quand un jeune loup essaye de voler le repas du dominant, il se fait mordre, et il ne recommence plus. Dans cet article, je vous explique en quoi cette explication est un non-sens. Cassons le mythe de la hiérarchie ! Nous avons eu l’occasion d’interviewer le Dr vétérinaire comportementaliste Stephan Gronostay. Diplômé en médecine vétérinaire de l’université Justus-Liebig Giessen (Allemagne), le Dr Gronostay a aussi obtenu le Certificat d’Etudes Vétérinaires Approfondies « Médecine du Comportement des Animaux Domestiques » à l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort en 2015. Il exerce en tant que vétérinaire comportementaliste à domicile dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, et fait aujourd’hui partie des meilleurs experts européens sur le comportement canin. Dans cet interview, il explique scientifiquement pourquoi la hiérarchie entre homme et chien est une lubie.

Lire l’interview

Le Dr Gronostay explique bien: «Biologiquement, il n’existe pas de hiérarchie entre différentes espèces - donc pas de hiérarchie entre l’homme et le chien.(...) Certes, en tant que maître, je guide mon chien. C’est moi qui ai les clefs, puisque c’est moi qui donne les croquettes, par exemple. Le chien dépend déjà entièrement de moi. En principe, sans son maître il est perdu et ne peut rien faire. Donc j’ai déjà un rôle clef dans la vie du chien, sans avoir à instaurer de hiérarchie.Tout ce qui suit consiste à apprendre au chien que coopérer avec son maître lui apporte quelque chose de positif. Il s’agit de l’encadrer de manière bienveillante pour qu’il ne reproduise plus les comportements qu’on ne souhaite pas Si votre éducateur canin vous donne un de ces 5 "conseils" : Fuyez ! La profession d’éducateur canin n’est pas reconnue par l’Etat. En d’autres termes : n’importe qui peut se déclarer éducateur. N’importe qui peut vous "conseiller" sur comment dresser votre chien. A nous de faire le tri entre les bons conseils, et les idées reçues dangereuses. Voici 5 exemples des mythes à bannir en éducation canine. Si un professionnel vous donne un de ces conseils : changez vite d’éducateur pour quelqu’un de plus compétent.

  1. «Il faut toujours manger avant son chien» Faux. Nourrissez votre chien à horaires fixes. Si votre chien contrôle son appétit, et n’a pas de problèmes de santé ou de comportements particuliers, vous pouvez même lui laisser ses croquettes à volonté.
  2. «Le panier du chien doit être à l’écart, pour qu’il ne surveille pas vos va-et-vient» Erreur. Mettez le panier de votre chien là où il aime être. Pensez à son confort. Préfère-t-il être dans un endroit calme ? Ou alors aime-t-il votre compagnie ? La plupart des chiens passent leur journée seul, pendant que vous êtes au travail. Ne le privez pas de votre présence en cachant son panier au fin-fond de votre maison, loin de vous.
  3. «Si votre chien est allongé sur votre passage: ne l’enjambez pas, obligez-le à se déplacer.» Inutile – sauf si vous aimez déranger votre chien quand il est confortablement installé.
  4. «Caressez votre chien sur le dessus de sa tête, il comprend ainsi que vous le dominez.» Nos chiens préfèrent être caressés sur le poitrail, le ventre... Il est outrant que certains dresseurs utilisent même la caresse, qui est censé être un moment complice et agréable, pour soumettre leur chien.
  5. «Ne laissez pas votre chien dormir sur le canapé, sur le lit, ou monter sur les chaises.» En fait, laissez votre chien aller là où ça ne vous dérange pas. Cela n’affectera pas son comportement. Si cela ne vous dérange pas que votre chien aille sur le canapé : faites-vous plaisir ! Assurez-vous juste qu’il apprenne bien l’ordre «tu descends» - bien pratique si vous avez besoin de faire un peu plus de place pour les invités.
En fait, tous ces conseils ont un point commun : ils sont fondés sur la notion erronée de hiérarchie entre maître et chien. Votre chien ne complote pas pour voler votre statut de mâle alpha au sein de votre foyer. Selon beaucoup de dresseurs, nos chiens aspirent à une chose : être le chef à la maison. Il faut donc toujours le rabaisser à sa place de soumis. Sinon, gare à vous ! S’ensuivent des avertissements alarmistes: «Attention, si tu continues de te laisser faire, bientôt ton chien dormira dans ton lit. Il mangera dans ton assiette ! C’est toi qui finiras dans une niche, attaché à un piquet!». Puis ils concluent avec cet adage traditionnel: «Traite ton chien comme un humain, et il te traitera comme un chien.» Je déteste ce dicton. Traitons les chiens avec amour et respect. Les miens ont le droit d’aller sur mon canapé lorsque je les y invite. Je refuse de les faire dormir dehors quand il fait froid. Quand ils viennent réclamer une caresse, je m’occupe d’eux si je suis disponible. Pour autant, me traitent-ils comme leur semblable ? Bien sûr que non... Aucun rapport de force entre nous. Mes chiens travaillent avec moi. Pas pour moi. Nous faisons des promenades, des jeux, des tours de cirque ensemble. Ils ne m’obéissent pas par soumission, mais par plaisir de travailler en équipe. Mes chiens ne me voient pas comme leur tortionnaire, ni même leur chef. Ils ont la conviction que je fais le bon choix pour eux. Ils savent que me suivre est dans leur intérêt. Alors pourquoi mon animal fait-il des bêtises ? Il n’empêche que parfois, mes chiens ne m’obéissent pas. Ils peuvent se montrer agressifs, ou bien se permettre certaines libertés. Si ce n’est pas par dominance, comment expliquer ces comportements ? C’est simple : parce que le chien est un animal opportuniste et hédoniste. C’est dans sa nature même, inutile de s’en offusquer. Si on ne peut pas l’accepter, alors on n’en adopte pas. Le chien est opportuniste parce qu’il cherche à profiter de la moindre situation qui peut lui être immédiatement profitable. Ici, je vais prendre l’exemple de Pénélope. Quand elle voit un lapin passer, elle ne m’obéit plus du tout. Mais alors plus du tout ! J’ai beau m’époumoner, rien n’y fait : elle ne revient qu’après avoir abandonné sa chasse. Elle est donc opportuniste : attraper un lapin lui est bien plus profitable que de rester sagement au pied. Pauvre lapin (heureusement ils sont bien plus rapides qu’elle). Le chien est aussi hédoniste parce que ses actions sont motivées par la recherche de confort et de plaisir. Je dis bien : confort et plaisir. Pas de dominance. La motivation de Maki, quand il saute sur le canapé, et de faire une sieste bien confortable. Sa raison d’agir n’est donc pas d’affirmer sa soi-disant position de chef. La clef pour comprendre son chien: la MOTIVATION ! Si vous voulez que votre chien vous obéisse, tout est une histoire de motivation. Reprenons brièvement l’exemple de Pénélope et son lapin. J’ai beau l’appeler, être gentil, puis menaçant, et même franchement énervé, elle s’en contrefiche ! Je me sens complètement impuissant. Mais essayons de reprendre notre calme, et analysons ses motivations. D’un côté, Pénélope a une motivation sociale : si elle revient au pied, je serai content, je la féliciterai et elle ne se fera pas grondée. De l’autre, Pénélope a une motivation vitale et instinctive : si elle continue à courser ce lapin, elle pourra peut-être le manger, et elle ne mourra pas de faim. Certes, Pénélope est loin de mourir de faim, mais se nourrir est un impératif profondément ancré dans ses gènes. Comment faire concurrence avec une motivation si instinctive ? La clef pour me faire obéir : faire pencher la balance de la motivation de mon côté. La motivation est cruciale quand on éduque son chien. Tous les meilleurs éducateurs canins vous le diront. J’aimerais continuer cet article en citant le Dr Joël Dehasse*, vétérinaire comportementaliste et pionnier de l’éducation positive. Selon lui, la défiance volontaire de votre autorité n’est pas un comportement propre au chien. C’est un concept inventé de toute part par l’Homme, qui «reproduit avec le chien ce que la société fait avec lui : il se l’approprie, il le soumet, il le rend dépendant, il l’asservit. Ce faisant, l’homme sauve quelques étincelles de son pouvoir de vie.» C’est bien triste. Arrêtons de croire qu’il faut forcément un chef dans notre duo. Créons plutôt une symbiose bienveillante, où le chien peut se réaliser et exprimer ses besoins. Tout le monde y est gagnant       *«Tout sur le Psychologie du Chien», par le Dr Joël Dehasse, publié aux éditions Odile Jacob.   

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